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Vélorution! Les coulisses d’un succès (in)attendu

By 15/12/2020janvier 7th, 2021Blog

2020: Année du vélo ? Devenue l’outil de distanciation par excellence pour échapper à la saturation des transports en plein Covid-19, la petite reine est incontestablement une des grandes gagnantes du déconfinement. Entre les coronapistes qui se multiplient et l’opération “coup de pouce vélo” mise en place par le gouvernement, difficile de résister à l’appel du guidon. Effet de mode ou véritable révolution ? On fait le point avec Stein van Oosteren, porte-parole du collectif Vélo Île-de-France.

+28% de trafic sur les pistes cyclables en France depuis mai 2020 (+67% à Paris). Explosion des ventes de vélos à assistance électrique (VAE).Un business d’une valeur aujourd’hui de 2.3 milliards d’euros en France 

Rien ne semble stopper la déferlante vélo qui s’empare de la France. Et si ce basculement a semblé soudain, il est en réalité le fruit d’un travail acharné dans l’ombre, depuis plusieurs années, de nombreux militants passionnés qui ont su se regrouper.

L’union fait la force

Attaché diplomatique en charge des questions de développement durable, Stein van Oosteren, néerlandais d’origine, est un amoureux de la France depuis son installation en 1996. Fervent pratiquant du vélo et désespéré de ne pas pouvoir rejoindre son lieu de travail basé à Paris en toute sécurité, il lance en 2016 un mouvement auprès de sa commune de résidence (Fontenay-aux-Roses) pour demander des aménagements et crée l’association FARàVélo (Fontenay-aux-Roses à vélo). “J’avais envie de participer à la démocratie participative. De mettre du sens dans ma vie « .

Vite rejoint par d’autres municipalités, ce mouvement citoyen a donné naissance le 21 avril 2019 au Collectif Vélo Île-de-France regroupant alors 21 associations avec toujours un problème persistant : la connexion entre les villes. “ Sur une carte, les zones de pistes cyclables en Île-de-France ressemblaient à des confettis. Il fallait aller encore plus loin. Alors on s’est remis au travail.”

Après de nombreuses consultations populaires, une première cartographie de réseau cyclable en Île-de-France composée de 9 lignes voit le jour fin 2019 afin de convaincre les politiques. “Il a fallu faire du Marketing. A commencer par trouver un nom à ce réseau. Là encore nous avons fait appel aux citoyens. L’idée étant de constituer un véritable réseau de transport afin de lutter contre la saturation des routes et des transports en commun”.

C’est ainsi qu’est né le RER V, prolongement du RevE (Réseau Express Vélo) voté par la Maire de Paris, Anne Hidalgo  en 2015 avec une première victoire un mois après le début du confinement : l’annonce le 21 avril 2020 par Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France du financement du RER V à hauteur 300 millions d’euros. “Une des raisons de ce succès, c’est le consensus. Ce projet était porté par les citoyens !”

Le projet initial présenté par les membres du collectif Vélo Île-de-France portait sur un budget de 500 millions d’euros et la mise en place de 650 km de piste(s) cyclable(s). Si ce chiffre semble impressionnant, il n’est rien comparé au budget de la construction routière. Frédéric Heran, économiste et urbaniste spécialisé dans le vélo, a ainsi calculé que 1 km d’autoroute coûte 200 fois plus cher qu’1 km de piste cyclable. “On est en train de faire pour le vélo ce qu’on a toujours fait pour la voiture depuis 70 ans. On crée un système vélo” se réjouit Stein van Oosteren.

Crise sanitaire et accélération du mouvement

La grève contre la réforme des retraites de début décembre 2019 a été un premier élément déclencheur pour remettre les Parisiens en selle. Mais c’est véritablement la crise sanitaire du Covid 19 qui a précipité les choses. Et, au lendemain de l’annonce de Valérie Pécresse, il a fallu créer des pistes rapidement : “Le coronavirus est le plus beau cadeau fait pour le vélo et les citoyens. En 10 jours, on a obtenu plus pour le vélo qu’en 10 ans”. 

Si la rue de Rivoli fait figure de piste référence en raison de son attrait médiatique, la révolution se déroule ailleurs. “Paris est une vitrine mais la révolution se déroule en banlieue. Le Val-de-Marne a dégainé en premier, en réalisant rapidement son réseau de 40 kilomètres de coronapistes et notamment une piste attendue sur l’avenue de Paris à Vincennes (ligne A du futur réseau RER V). D’autres villes comme Montreuil en Seine-Saint- Denis sont également très à la pointe”.

Le 30 novembre dernier, la Région Île-de-France et le collectif vélo ont dévoilé le tracé des 5 axes prioritaires du futur RER V.

L’avènement de l’urbanisme tactique 

Pour Stein van Oosteren, la clé de cette transformation si rapide est double : un urbanisme tactique couplé à une gouvernance inclusive. “Plutôt que parler pendant une année de créer une piste cyclable qui durera quarante ans, l’idée est de faire d’abord une piste temporaire, puis les partenaires discutent et ajustent l’aménagement ensemble”

Théorisé par l’architecte américain Mike Lydon, l’urbanisme tactique incite à une réflexion globale sur l’utilisation de l’espace public urbain avec une approche à court terme pour des effets à longs termes. En Île-de-France, la gouvernance inclusive a été initiée par le préfet de la Région, qui réunissait deux fois par mois l’ensemble des partenaires pour suivre l’avancement des travaux.

Aujourd’hui, on compte 168,95 km de coronapistes en Île-de-France.

Dans une interview accordée au Parisien début octobre, la Maire de Paris a confirmé la création de 7 nouvelles coronapistes dans la capitale ce qui portera le total des coronapistes à Paris à 60 km contre 50 km prévus à l’origine. Actuellement, 45 km ont déjà été réalisés. Des aménagements seront notamment apportés rue de Rivoli avec un doublement de la piste dédiée aux cyclistes.

Une révolution en marche

Rien ne semble pouvoir stopper l’ascension du vélo.

Le « coup de pouce vélo » mis en place par l’État (un forfait de 50 € pour faire réparer sa bicyclette) et géré par la FUB (Fédération française des usagers de la bicyclette) a rencontré un vif succès. Un million de français en ont déjà profité depuis le printemps. Bonne nouvelle: le dispositif qui devait s’arrêter au 31 décembre 2020 vient d’être prolongé de trois mois. Cette aide est donc valable jusqu’au 31 mars 2021. La Ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a par ailleurs promis 30 millions d’euros pour aider les employeurs (entreprises, administrations, associations…) à mettre leurs salariés en selle. Ce projet, baptisé « Objectif employeur pro-vélo », a pour but d’encourager les entreprises françaises à innover dans des solutions et des services liés au vélo. Objectif : viser 4 000 employeurs et 500 000 salariés.

On assiste, en parallèle, à une véritable révolution économique et logistique. Depuis quelques années, les boîtes à vélo ont explosé : du plus pratique au plus insolite comme Carton plein qui réalise des déménagements à vélo remorques dans tout Paris dans la limite de 40m2 ou encore Le Cycloplombier, le premier plombier de Paris à se déplacer à vélo cargo. Avant de se lancer, les futurs entrepreneurs peuvent prendre conseil auprès de Ma Cycloentreprise qui vise à promouvoir la cyclomobilité professionnelle auprès des micro entreprises dans toute la France à l’aide de formations.

Autre illustration de ce succès grandissant : une série dédiée au vélo et intitulée Biclou a vu le jour sur le site du Parisien avec la diffusion quotidienne de vidéos autour de cette thématique.

Enfin une Académie des Métiers du Vélo devrait être bientôt inaugurée. Portée par la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) et soutenue à hauteur de 8 millions d’euros, elle accompagnera dans les prochains mois la formation de 250 nouveaux mécaniciens pour répondre à la demande de réparations croissante de bicyclettes. Cette formation se déroulera sur 4 semaines.

Un marché juteux

4000 vélos écoulés chaque semaine au sein du réseau Go sport. 3000 vélos dans le réseau Intersport France Belgique contre 1200 l’année dernière.

En 3 ans, le marché du cycle a bondi de 24% pour atteindre 2,3 milliards d’euros en 2019 (827 millions d’euros pour les pièces et accessoires / 1,5 milliard d’euros pour les vélos) selon les chiffres publiés par L’Union Sport & Cycle. 

Entre 13 et 18% de croissance supplémentaire sont attendus pour 2025 pour venir flirter avec les 2,7 milliards d’euros de ventes.

Si aujourd’hui l’électrique occupe 45% de part de marché en valeur, on attend d’ici 2025 à ce que cette part avoisine les 70-75% avec le coup de pouce notamment des collectivités locales (subventions jusqu’à 400 euros dans certaines villes comme Paris et Marseille). Avec un prix de vente moyen de 1749 euros pour un vélo électrique, le secteur de l’électrique ne connaît définitivement pas la crise et attire désormais entrepreneurs de renom (Marc Simoncini) et grands designers (Ora Ito). 

Mais derrière cette success story subsistent encore certains maillons de chaîne défaillants.

Les chantiers à consolider

Pour Stein van Oosteren, les deux plus grands freins au vélo sont la peur et le vol.

En réponse au premier frein, la priorité absolue était la construction de pistes. “Aujourd’hui nous sommes rentrés en phase de consolidation. La fin du RER V est prévue pour 2030 avec une réalisation aux ⅔ d’ici 2025 juste après les JO. Un des défis qui reste à relever est la sécurisation des 70 portes de Paris. Seule une poignée de portes a été traitée, et pas toujours de façon satisfaisante”.

Concernant le vol, l’un des gros chantiers est le stationnement sécurisé. Aujourd’hui, à Paris, 500 bicyclettes disparaissent chaque mois. Soit une hausse de + de 62% de larcins par rapport à l’an dernier et ¾ des victimes ne portent pas plainte. Pour lutter contre ce fléau, la région Île-de-France a promis 100.000 places de parking réservées aux vélos d’ici 2030, contre 19.000 aujourd’hui. David Belliard, le nouvel adjoint aux Transports de la capitale, a annoncé la suppression de 60.000 places de stationnement automobile, notamment au profit du vélo. Ainsi une cinquantaine de vélobox, pouvant accueillir chacune six vélos, doit être installée. C’est un bon début mais c’est encore insuffisant. A titre de comparatif, le parking géant d’Utrecht aux Pays-Bas peut accueillir jusqu’à 12.500 vélos sur trois étages.

Quid de la hausse du nombre d’accidents ?

On parle d’une hausse de 30% des accidents depuis le début de l’année. Pour le porte-parole du collectif Vélo Île-de-France, il s’agit de désinformation. « L’augmentation du nombre d’accidents de vélo est inférieure à celle du trafic cycliste qui est de 60%. Si le nombre de vélo est désormais équivalent à celui de deux-roues motorisées, il y a six ou sept fois plus de morts parmi les motards “.

Stein van Oosteren défend ainsi l’idée d’une sécurité par le nombre : “Plus on est nombreux et visible, plus on devient une force et les autres usagers sur la route font attention”. 

Une campagne de sensibilisation de la sécurité routière a par ailleurs été lancée le 25 septembre pour prévenir les accidents mortels dont peuvent être victimes les cyclistes.

Autre sujet de division : le port du casque pour les plus de 12 ans. 

Le collectif Vélo Île-de-France est contre son obligation : “C’est avant-tout une décision individuelle et il existe beaucoup d’autres moyens de se protéger à commencer par des pistes toujours plus sécurisées. Regardez au Pays-Bas, personne ne porte le casque !”

En roulant avec un casque, on aurait tendance à se sentir plus protégé et à prendre plus de risque. C’est ce que Stein van Oosteren appelle le risque d’homéostasie. Conséquence directe : les automobilistes en voyant l’usager comme plus protégé, vont davantage le frôler.

Stein van Oosteren cite, par ailleurs, l’exemple de la Nouvelle-Zélande et l’Australie où l’obligation du port du casque s’est accompagnée d’une baisse sensible du nombre d’usagers à vélo.

Un premier bilan extrêmement positif

Au départ perçu comme un enjeu de santé publique (lutte contre la sédentarité notamment) et une réponse au dérèglement climatique, le vélo a su se faire une place de taille sur l’ensemble du territoire dans une période de pandémie particulièrement sensible.

Si la vélorution semble bien en marche dans toute la France, on est encore loin des chiffres de nos voisins hollandais ou 1 déplacement sur 4 se fait à vélo. “Ce sont les enfants qui vont entraîner cette révolution du vélo. Notre rôle est de les éduquer dès le plus jeune âge et de construire des aménagements adaptés. Le vélo crée des adultes confiants et solidaires : des individus en prise avec leur environnement. Le chemin est encore semé d’embûches mais il n’y aura pas de retour en arrière”.

A vos marques, prêts, roulez !

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